Jour 471 : Le maton me guette

En France on aime bien critiquer. C'est un sport national. C'est facile. On peut même et surtout le faire de derrière son écran de smartphone ou d'ordinateur. Une petite pique bien sentie, tranquillement le cul posé dans le canapé. Tous les sujets sont bons. Le mieux c'est de critiquer ET de comparer...

Dernièrement j'ai vu circuler une photo sur internet où l'on pouvait lire qu'il faudrait mettre les " criminels " en EHPAD pour qu'ils endurent la vie que les personnes âgées mènent dans les ces lieux qui leur sont destinés et que ces mêmes personnes âgées puissent vivre en prison, lieu où il fait bon se pavaner... Oui car d'après ce très sérieux document publié par le site Le top de l'humour (quand on vous dit que c'est sérieux !), la vie en prison serait idyllique : surveillance vidéo en cas de problème, 3 repas par jour, accès à la bibliothèque, au gymnase, télé, câble, Canal+, Canal sat et apparemment bientôt le téléphone et internet. Whouuu sérieux, j'ai trop trop envie d'aller en prison moi...

Sauf que bien entendu, il y a un hic... Il n'est pas là question de dire que les personnes âgées sont mieux loties que les détenus. Tout le monde sait que le milieu hospitalier dans son ensemble souffre d'un cruel et grave manque d'effectif afin d'apporter des soins corrects à nos chers papis et mamies. On sait aussi que le prix des EHPAD est souvent exorbitant. Ce sont les faits. Mais dire que les prisons et maisons d'arrêt françaises sont des lieux hautement plus accueillants, il ne faut pas exagérer. C'est prendre des raccourcis bien rapides et tomber dans une caricature qui fait souvent le jeu de partis politiques extrêmes. Coucou Marine !

Oui, en EHPAD les soignants travaillent dans des conditions souvent compliquées. Le manque d'effectif engendre une hygiène douteuse de la part de certains résidents. Forcément lorsque vous êtes trois pour quarante-huit personnes âgées, autant dire que le gant de toilette n'explore pas tous les recoins de ces corps souvent usés par la maladie ou simplement par la vieillesse... Il arrive aussi que les plateaux repas restent bien trop longtemps en chambre ou encore que le ménage ne soit pas fait. Il n'y a pas d'animation aussi partout. Oui, oui, oui et encore oui, tout n'est pas rose. Mais parlons un peu des maisons d'arrêt et des prisons.

En France il y a 70 710 personnes incarcérées au 1er juillet 2018. 21 000 sont en maisons d'arrêt, c'est à dire " en attente de jugement ". Cela fait 32% d'augmentation en 8 ans... Le taux d'occupation est de 142%. Voila pour les chiffres. Dans les faits on se retrouve souvent avec des prisons ou maisons d'arrêt en surpopulation et des lieux en très mauvais état. Par exemple à la prison de Fresnes tristement célèbre pour ses conditions de détention, on retrouve des détenus dormant sur des matelas à même le sol. Des matelas remplis de punaises de lit. Il est courant de croiser des rats et si les détenus arrivent à avoir trois douches dans la semaine c'est un luxe. Bien entendu il ne faut pas compter dessus, les douches étant par exemple souvent bouchées par les excréments d'autres détenus ayant caché de la drogue dans leur anus...

Il faut aussi voir que les détenus peuvent souvent passer 22 heures sur 24 en cellule, et que la " balade " d'un matin dans la cour peut se retrouver reportée au lendemain après midi, sans raison. En été par fortes chaleurs, la situation devient rapidement explosive. Forcément, à trois ou quatre dans 10m² la promiscuité créée une atmosphère irrespirable et les nerfs craquent. Faut-il le rappeler, le wc se trouve dans la cellule. Pas le choix, faut aimer se faire mater.

La surpopulation carcérale entraine donc une dégradation rapide des prisons et maisons d'arrêt. On se retrouve avec des locaux vétustes, une absence régulière d'eau chaude et de produits d'hygiène. Il ne faut pas croire tout ce qu'on lit sur les réseaux sociaux. L'accès à la bibliothèque et au gymnase, droit théorique pour les détenus, est pratiquement impossible du fait de la surpopulation. Il y a un nombre de candidatures nettement supérieur aux places disponibles. L'accès au sport et à la culture est donc très limité derrière les barreaux ce qui rend souvent la réinsertion des détenus très compliquée à leur sortie de prison.

Et il y a bien entendu la fameuse idée reçue concernant internet et la télévision en prison. Et bien non, la télé n'est pas gratuite en zonzon. Il faut payer 14,15€ pour avoir droit à la boîte à images, souvent seul lien avec le monde extérieur. Seuls les plus " fortunés " peuvent s'offrir ce luxe. Car il faut le savoir, tout est payant. Deux repas par jour sont fournis par l'administration pénitentiaire. Sauf que pour les compléments du type aliments, lessive, produits d'hygiène, ou encore activité, ou obtention d'un frigo, il faut banquer. En moyenne 200€ par mois. Non, vivre en prison n'est pas le top du top.

Au final comparer les EHPAD et les prisons ou maisons d'arrêt est d'une bêtise sans nom. Les problèmes que chaque structure rencontrent leur sont propres (ou sales !), mais on ne peut dignement pas affirmer que la vie en milieu carcérale est plus douce et belle qu'en EHPAD. Et ce n'est pas parce qu'un détenu est en prison que le respect de sa personne doit lui être enlevé, tout autant qu'une personne âgée en EHPAD. Le reste n'est qu'une question de point de vue sur la condition humaine...

Mon corps est enfermé, seule mon âme peut voguer.
Barreaux, porte bloquée, ma vie est bloquée.
Un oeil dans l'oeillet, j'entends le bruit des clés.
Les jours se répètent, / et le maton te guette.

[Le maton me guette - Passi]

L-ios